- Tu es sûr que c'est plus rapide de passer par là ? On y voit que dalle et en plus je ne sens même plus aucun courant d'air. L'air que nous respirons semble être, lui, âgé de plusieurs siècles. Ainsi donc nous traversons un passage que personne n'aurait emprunté depuis au moins huit cents ans...
- C'est fort probable, comment sais-tu ça ?
- Oublierais-tu que le fruit du démon que j'ai mangé me permet de contrôler l'air et d'en être composé ?
Je ronchonnais :
- Bien sûr que non, ma question était idiote.
Je me sentais comme si j'avais parcouru plusieurs kilomètres depuis que nous avions mis les pieds dans ce tunnel. En parcourant la torche près des murs je pouvais remarquer de fines gravures d'un autre siècle, témoins d'une civilisation disparue, malheureusement celles-ci n'étaient plus reconnaissables car le plus souvent rongées par la mousse qui les recouvrait. Le chemin pavé était légèrement oblique, ce qui nous informait que nous descendions, le Palais Enfoui de Sohen portait bien son nom.
Seijuro s'arrêta brusquement, il ne fit plus aucun geste.
- Là-bas, je sens un courant d'air... Annonça-t-il en pointant du doigt l'extrémité du tunnel. En effet, après avoir fait quelques dizaines de mètres, nous sentîmes de l'air frais circuler dans le boyau.
- C'est étrange, si il y a une arrivée d'air il devrait normalement y avoir une sort...
- Attention ! Criais-je en le poussant violemment à terre tout en le suivant.
"Shink shink shink shink", quelque chose passa rapidement au dessus de ma tête. Une douleur me saisit à l'épaule : je saignais, mais rien de grave, une simple coupure. Je relevais un peu la tête pour voir ce qui nous était tombé dessus : en réalité, cela ne nous était pas tombé dessus, il nous était plutôt passé au-dessus. De puissants piques en pierre... non, en Kairouseki. Ces piques ne pouvaient être qu'en granite marin pour avoir pu me blesser. Mon compagnon, lui, était sain et sauf, je venais de lui sauver la vie, il m'en serait reconnaissant.
- Tout ce que t'as à faire, c'est de rester en vie jusqu'à ce qu'on sorte d'ici et qu'on fasse le job qu'on s'est donné à faire, pigé ?
- Pigé.
Nous rampâmes jusqu'à la petite salle ronde qui nous attendait plus loin.

Cette salle n'avait pas l'air piégée, une ouverture ronde en cheminée procurait de l'air de la surface en permanence, ainsi qu'un léger rayon de lumière. Les piques derrière nous se détachèrent lentement du mur pour reprendre leur place initiale : un piège parfait qui pouvait marcher autant de fois qu'il le fallait, sinistre idée que de l'avoir créé. Ça ne devait sûrement pas être le seul piège de ce style, nous devions être prudents. Au centre de la pièce se trouvait une colonne, et environ deux ou trois mètres autour de cette colonne, des barrières en fer rouillées, dont le seul espace faisait penser à une entrée. Nous traversâmes cet espace et nous aperçûmes que nous étions montés sur une dalle. Je tirais un petit levier sur la colonne, confiant, et celle-ci se mit à monter... où plutôt nous qui nous mîmes à descendre. Le bruit des rouages nous bombardait les oreilles, nous étions sur un ascenseur primitif. En dessous s'étendait le vide, nous ne savions pas combien de temps nous devions continuer à descendre, mais ce qui était sûr c'est que l'arrivée était plusieurs dizaines de mètres plus bas, dans les ténèbres. Ce fut alors que Seijuro m'indiqua en portant sa main devant sa bouche.
- Nous ne devrions pas rester trop longtemps ici... l'air est vicié, nous risquons d'être asphyxiés.

Quand l'ascenseur s'arrêta, le paysage ne ressemblait en rien à ce qu'il était à l'entrée du palais. Détruit, mais sublime, le palais enfoui une centaine de mètres sous terre, nous faisait face de ses fiers piliers brisés et de son antique façade endommagée par le temps. Et pourtant j'avais vu des cités bien moins âgées dans des états plus délabrés que cet immense bâtiment. Si l'on ne tenait pas compte de la voute pliée, le palais semblait tellement solide qu'il pourrait encore tenir des millénaires. Bientôt le sol terreux sur lequel nous avançâmes laissa place à du marbre poussiéreux, et les immenses portes, chefs d’œuvre d'une création magnifique, nous invitaient à franchir le seuil. Celles-ci étaient demeurées ouvertes, l'une des deux pliée par le poids des combles affaissées. Et pourtant, vu de près le bâtiment perdait de son illusion : la porte entourée par la paroi terreuse de la caverne n'était pas si grande que cela. Ce temple mystique semblait nous réserver bien des épreuves, et le doute en moi survint : aurait-il été plus judicieux de faire demi-tour ? Mon camarade rentra le premier, pour vérifier l'état de l'air, puis après m'avoir fait un signe de la main, je rentrais à mon tour. Directement nous pénétrâmes dans un long corridor, un boyau terreux et jonché de débris, murs de carrelage et de terre s'alternaient. Le couloir lui même n'était plus droit, il effectuait des virages, des descentes et des remontées audacieux. A certains moment le vide échangeait avec le sol, et nos pieds mal sûrs manquaient de déraper pour tomber dans ces puits d'obscurité traîtres. Parfois des chauves-souris se détachaient du plafond pour nous fondre dessus, mais rapidement je les éliminais : ce n'était pas ces proies là que j'attendais, quelque chose de bien plus coriace faisait aussi l'objet de ce détour, de ce trajet. Ce quelque chose se terrait au plus profond de ce palais perdu, et je comptais bien me mesurer à lui.

Sur la route, nous rencontrâmes des bêtes en tout genre, ainsi que des que nous ne pensions pas trouver à cette profondeur. Ces animaux s'étaient adaptés au milieu, se servant des petites fontaines s'écoulant des lacs souterrains pour s'abreuver, de la faune grouillante et des rongeurs pour s'alimenter. Des loups nous firent perdre du temps, il suffisait d'un exemple pour l'un d'eux pour que les autres décampent, mais ils revenaient toujours à la charge, impitoyables et stupides. Les adversaires que nous avions eu le plus de mal à surpasser fut sûrement les rats géants, une famille toute entière, rampants et foncièrement méchants, carnassiers aux dents tranchantes comme des rasoirs. Bon certes, nous étions invulnérables aux attaques physiques, mais des monstres pareils peuvent toujours transporter des maladies pouvant contaminer la terre. Ainsi je me devais de me débarrasser d'eux, par pure crainte d'attraper une maladie mortelle. Ces adversaires étaient particulièrement traitres et véloces, ils n'hésitaient pas à attaquer en groupe et il fallait toujours surveiller ses arrières. Quand un groupe de cinq d'entre eux nous tomba dessus, nous dûmes établir rapidement une stratégie. Alors que Seijuro explosait les animaux géants contre les murs peu solides, je les alignais les un après les autres pour ne pas avoir de contact direct avec eux. Ce qui me contraignait le plus durant la traversée fut que nous n'avions pas de carte. Et étant donné que les tunnels labyrinthiques se ressemblaient tous, nous ne savions pas si nous tournions en rond ou si nous suivions la bonne route. Ce n'est qu'en joignant un grand escalier s’enfonçant dans les profondeurs abyssales que nous eûmes notre réponse : j'en déduisais que nous nous trouvions plus très loin du cœur de la bâtisse.

"Vlom" : nous évitâmes de peu un gigantesque bloc de pierre qui faillit nous applatir contre le mur d'en face. Mon compagnon eut besoin d'ajouter un commentaire peu constructif, comme à son habitude, pour expliquer le phénomène ou... pas.
- Ouf ! On a eu chaud, ces pièges me donnent des crises cardiaques ! On est encore loin ?
- Patience. Chut, tais toi. Murmurais-je. Je m'accroupissais : nous n'étions plus très loin d'une gigantesque porte, plus grande que la porte d'entrée. J'effleurais les murs et sentais des structures au bout de mes doigts. Je m'y intéressais un peu : on reconnaissait aisément des rites sacrificiels, la tapisserie sanglante brillait par ses dessins cadavériques. D'ailleurs, de nombreux squelettes gardaient la magnifique porte séculaire. Se pouvait-il qu'il y ait, derrière cette porte, ce que je convoitais tant ? Il était enfin temps d'évaluer ma puissance, face à un monstre réel, pas de pauvres humains inoffensifs. Mais en réalité, si j'avais su à quoi je me préparais... j'aurais rebroussé chemin illico-presto. Un grondement guttural retentit alors, emplissant le secteur d'une ambiance malsaine. Moi-même qui ne suis pas un enfant de cœur, tremblais face à un tel rugissement. Je fis le geste qui me permit alors de survivre à ce qui allait venir : je persuadais mon agent de rester là, au cas où.

Je me souviens parfaitement du combat, instant gravé dans ma mémoire, cependant ce qui suit est trouble, flou et indistinct, obscur à ma pensée. En m'approchant du seuil, je prenais de plein fouet des courants d'air brûlants, irritants, me piquant les yeux. Je franchissais bientôt l'ouverture, tout en brandissant ma chaine en argent. Un trou de lumière au plafond, en contact direct avec la surface, éclairait toute la pièce. Géante, elle était en partie composée d'une caverne géante disposée à l’extrême opposé d'où je me trouvais : espace qui ressemblait fortement à un amphithéâtre. La fumée stagnait dans les airs, elle arrachait la rétine et les poumons, l'air était irrespirable. Ce n'est pas qu'une fois que j'ai songé à fuir, mais mon égo surdimensionné, mon orgueil, ma prétention, m'empêchait de faire marche arrière. Au contraire, j'avançais, les yeux mi-clos. Effectuant ridiculement des moulinets avec ma chaine, j'espérais ainsi libérer un peu d'espace vital, un peu d'air frais devant moi. A l'inverse, des effluves de fumée plus puissantes m'aveuglaient. Jusque là j'avançais sans bruit, quand ma chaine tinta contre le sol. Le petit tintement aigu dût éveiller la bête monstrueuse car je crus discerner des yeux géants, bleu saphir, dans la noirceur de la grotte. Ceux-ci me fixaient, ces yeux de prédateur avaient déjà tout choisi leur proie. Un autre regard se posait sur moi, c'était Seijuro. Il y eut du mouvement, ce fut si rapide... La bête sortit de sa tanière pour s'amuser avec moi. Je restais immobile face à la monstruosité qui me faisait face. Je ne pouvais apercevoir les détails, mais le monstre faisait des dizaines et des dizaines de mètres de haut, recroquevillé !

A défaut de porter des coups précis, je sentis bien celui qui venait de passer à coté de moi : une énorme patte venait de fendre l'air, air qui me fut envoyé de plein fouet et m'étala à terre. Je prenais ma chaine de mes deux mains et tentait vainement d'attraper la patte, mais quand bien même j'avais réussi celle-ci m'envoya valdinguer contre une colonne de marbre. Une griffe géante s'abattit sur mon corps, je réussis presque à l'esquiver. Presque, elle me déchira une côte. Je criais, gémissais, souffrais de ma blessure béante au flanc. Avant de me demander le pourquoi du comment, je vis la griffe reluire d'un éclat bleuté : du Kairouseki, encore, c'était donc pour cela que ce monstre demeurait invaincu, même contre un possesseur de Fruit du Démon de type Logia comme moi ! Le combat était perdu d'avance, ce n'était que maintenant que je m'en rendais compte. Je me relevais un peu gauchement, tenant ma blessure avec ma main droite. Comme un homme saoul, je courrais d'une démarche peu sûre vers la porte de la salle. Cette défaite cuisante et cette blessure au flanc ne furent malheureusement pas les seules cicatrices. Je n'eus, cette fois-ci, pas le réflexe d'éviter la tranchante griffe de la bête qui s'abattit sur moi comme une faux. Je me rappelais alors, en me réveillant, la vision ensanglantée et la douleur qui m'assaillait quand mon bras gauche fut tranché net par la créature. Et c'est ainsi que je perdis un bras, dans une défaite qui marqua mon esprit d'une amertume sans égale et d'une vengeance profonde. Près de moi se trouvait Seijuro, il me raconta comment il m'avait sauvé en se volatilisant à la vitesse de l'air sur moi pour m'emporter dans un lieu sûr. Nous étions loin du cœur du Palais maintenant, nous étions dans un couloir plutôt en bon état, et c'est là que Seijuro m'avait rapidement bandé le restant de mon bras gauche, vestiges que je ne pus voir que bien après : j'avais perdu l'avant-bras et le coude, laissant un moignon de biceps en guise de cicatrice.

Cela faisait si longtemps que je n'avais pas ressenti ce sentiment... si longtemps que je n'avais pas ressenti la faiblesse. Régulièrement je tombais sur le sol à genoux, ou m'effondrais de tout mon long. Choqué ou épuisé, qu'importe le résultat était là... Certes ma blessure au flanc était grave, mais celle qui me faisait le plus mal était mon bras gauche. Elle me faisait mal à mon honneur comme elle était douloureuse, elle était la preuve d'une perte, d'une bataille perdue. Je restais coi durant tout le trajet, n'interpellant pas une seule fois mon compagnon qui m'aidait à avancer. Celui-ci m'aidait par pure redevance, étant donné que je lui avais sauvé la vie. Ma plaie sanguinolente attirait les animaux des souterrains, bêtes que l'on s’efforçait d'éviter car chaque combat était plus éreintant, tout ce que nous voulions était sortir d'ici. Je réfléchissais, tournais dans ma tête, n'arrivais pas à réaliser la perte de mon membre. Mon moral était abattu, et c'était bien ça qui m’affaiblissait. Le chemin fut long et pénible, nous nous perdîmes un bon nombre de fois, Seijuro n'avait aucun sens de l'orientation. Pourtant c'était bien simple : le palais était en pente, en aval se trouvait l'entrée par où nous étions arrivés et en amont la sortie ; là nous tournions en rond. Peut être était-il compatissant, mais il était totalement idiot. Je ne comptais pas le garder avec moi une fois sorti d'ici, mais pas le tuer non plus, juste m'en débarrasser.

Une heure après nous étions toujours perdus. J'avais repris des forces, ce qui me permit de donner des indications et donc de reprendre les rennes. Des pièges, il y en avait de plus en plus, bizarrement. Oubliettes, murs qui avancent, piques qui sortent du mur... il y en avait pour tous les goûts ! Dans plusieurs je faillis trépasser, mais mon pouvoir me permettait tout de même de sonder les murs terreux et d'analyser leurs composants. Petit à petit la faiblesse laissait place à la haine, mon esprit toujours aussi troublé refusait pertinemment et catégoriquement toute défaite. Mon orgueil avait pris un coup, je n'étais plus le puissant et invaincu chef du Baroque Works ! Un pauvre manchot, voilà ce que j'étais maintenant ! Il fallait que je trouve quelque chose pour substituer mon bras manquant, au moins pour le faire paraître. J'avais entendu, il y a peu, le développement d'un type de prothèse mécanique, qui coutait très cher certes mais qui permettait d'avoir un bras robotisé aux allures d'un bras normal : un gant et une veste et c'était bon. De ce fait, mon bras robotisé pourrait, comme mes vêtements, se changer en terre sans en subir les dégâts. En attendant je réussis à me confectionner un bras de terre, prothèse temporaire qui me coutait un chouïa d'énergie et qui se trouvait être plus qu'utile.

Bientôt nous atteignîmes la porte de sortie. Elle n'avait rien à envier à la porte d'entrée, mais de l'autre coté se trouvaient des grottes où stalagmites et les stalactites se rejoignaient, formant de gros piliers. Une lueur blanche éclairait la grotte, c'était la sortie. J'éliminais de rage les dernières chauves souris qui trainaient dans le coin, il était temps pour moi de faire mon travail : supprimer cette base de la Marine.